Document pdf
Rétablir les discussions dans la forêt de Mormal grâce au dialogue territorial
- initiative
- récit
Comment améliorer le dialogue entre usager·ères et gestionnaires dans les forêts quand la compréhension est difficile ? Depuis 2023, dans la forêt de Mormal, la plus grande du département du Nord, l’Office national des forêts (ONF) anime un conseil territorial. Cet espace permet à tous·tes de s’exprimer, et d’arriver à une prise de décision plus sereine, consensuelle et acceptée. Retour sur la première étape d’un processus de dialogue qui tend à se généraliser
Le projet en bref
Objectifs de développement durable
# Sur les mêmes sujets
Lorsqu’on assiste à un des conseils territoriaux pour la forêt de Mormal, il est difficile d’imaginer qu’il y a quelques années à peine, les tensions étaient telles que gestionnaires de la forêt et citoyen·nes ne pouvaient s’adresser la parole.
Les conflits d’usage (relation chasseur·ses-promeneur·ses, sylviculture, etc.) sont courants dans toutes les forêts, comme l’ont montré certains chercheurs, ce qui peut amener à une dégradation des relations entre les usager·ères La forêt de Mormal, particulièrement emblématique (elle est la plus grande du département et la seule du Nord à accueillir des cervidés) a cristallisé un ensemble de tensions entre gestionnaires de la forêt et usager·ères.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont les coupes réalisées par l’Office national des forêts (ONF), à qui est confiée la gestion de cette forêt domaniale. « La façon dont les gens ont perçu ces coupes c’est : “On est en train de détruire la forêt, c’est une alerte, il y a un trop grand changement par rapport à avant” », explique Aude Tessier, directrice d’agence de l’ONF. Si les coupes font partie intégrante du travail de l’ONF, certaines d’entre elles, qu’on appelle «coupes à blanc», minoritaires mais laissant le sol à nu avant de laisser la place à l'installation d'une nouvelle génération d'arbres, sont considérées comme parfois nécessaires par l'ONF, et sont très mal perçues par les riverain·es. Les choses prennent une dimension nationale en 2018, lorsque les contestations sont médiatisées. Mormal devient le symbole d’une lutte contre les coupes rases, et plus largement d’une remise en cause des pratiques de l’ONF.
La médiation comme outil vers le dialogue
L’Office décide alors d’un moratoire sur les coupes rases. La discussion entre habitant·es et gestionnaires échoue cependant encore à de multiples reprises. L’ONF décide finalement de faire appel à un médiateur indépendant pour lancer une démarche de Dialogue territorial. Celui-ci se charge d’écouter attentivement et de recueillir la parole via des entretiens des différentes parties prenantes, puis de les restituer au comité de pilotage de ce projet de concertation. Cette approche permet une première réunion entre associations, élu·es, gestionnaires de forêts, habitant·es et usager·ères de la forêt, où chacun·e partage sa vision du problème.
Ce travail se poursuit avec l’organisation de plusieurs réunions, dans un cadre plus apaisé, ayant pour objectif de trouver des solutions autour de trois thématiques : la gestion forestière/sylvicole, le partage de l’espace et la future implication des usager·ères dans la gestion de la forêt. À la fin de la concertation, en 2023, cinq réunions ont permis d’aboutir à 46 propositions d’activités (améliorer la connaissance de la biodiversité grâce à la constitution d’un groupe thématique sur la gestion différenciée par exemple) et à la création d’un conseil permanent de discussion : le conseil territorial.
« La médiation a apporté une méthode : on se parle, on écoute les arguments des uns et des autres de manière respectueuse, même si on n’est pas toujours d’accord, et on essaie de converger, explique Aude Tessier, parfois c’est possible, et parfois ce n’est pas possible. Mais au moins les règles sont connues et elles sont partagées. »
Labo Dialogue territorial - trois questions à Aude Tessier, ONF
Montrer pour mieux expliquer
Ce conseil est constitué de quatre instances : un collège d’élu·es et de gestionnaires de la forêt, un collège de professionnel·les, un collège de personnes qualifiées cooptées et un collège d’usager·ères. La mise en place de ce conseil territorial a permis d’apaiser les tensions autour d’enjeux de gestion de la forêt. Pour répondre à l’incompréhension des habitant·es face aux coupes rases, la communication et le choix des parcelles concernées ont été repensés. L’aspect paysager, cher aux yeux des riverains, a davantage été pris en compte.
« On est encore en train d’affiner la façon dont on va désormais travailler avec les habitant·es : comment faire connaître les réflexions et le travail réalisés au sein du Conseil Territorial ? élargir le conseil ? faire participer les citoyens aux concertations ? organiser des réunions publiques ? Rien de décidé encore, mais une évidence, la simple information ne suffit plus » explique Aude Tessier.
Deux projets d’exploitation ont ainsi été déterminés en concertation en 2024, avec une attention particulière à la pédagogie auprès des citoyen·nes et habitant·es, pour une meilleure compréhension et acceptabilité. Les coupes réalisées vont en effet permettre de mettre en valeur les essences particulières proches du cours d’eau qui traverse la forêt, et la zone va être valorisée comme zone de nourrissage de la cigogne noire. Des informations qu’il était important de partager aux riverain·es !
Cette discussion a surtout été permise par des visites de terrain. Au milieu des arbres, les explications des gestionnaires et des habitant·es ont pris vie. L’ONF a également pu y révéler une autre de ses missions, celle de la préservation de la biodiversité
Trois sorties dans Mormal ont ainsi été organisées par le conseil territorial en 2024, permettant de montrer l’intérêt des coupes de régénération, mais aussi de découvrir la richesse des écosystèmes en faune et en flore. Le Groupement ornithologique et naturaliste (GON), le Parc naturel régional de l’Avesnois et la Coordination mammalogique et naturaliste (CMNF) ont été associés à la démarche, en vue de développer une logique partenariale.
Vers une nouvelle gestion de la forêt
Le dialogue n’est cependant pas chose acquise et demande beaucoup d’implication : quatre salarié·es de l’ONF sont encore aujourd’hui particulièrement investis dans le Dialogue territorial à Mormal.
De manière plus générale, cette initiative a permis à l’Agence de Lille de l’ONF d’engager davantage de dialogue avec les usager·ères de la forêt. Une communication horizontale des décisions à tous·tes s’est substituée à une communication traditionnellement plus descendante à Mormal.
Cette approche originale a permis de favoriser de nouvelles dynamiques : l’ONF cherche par exemple à mieux comprendre la relation entre habitant·es et milieu forestier à Mormal. La structure a ainsi lancé en 2024, en partenariat avec la Junior Entreprise de Sciences Po Lille, une enquête sociologique sur les dimensions émotionnelles de la forêt. Trois études sont également en cours pour étudier le patrimoine culturel de la forêt, la perception des paysages forestiers et enfin sur l’archéologie.
Des projets intéressants qui devraient permettre à nos forêts d’être des milieux de vivre ensemble plutôt que des pommiers de discorde !
Découvrez d'autres contenus similaires
Le Dialogue territorial fait parler de lui !
ressource| 18 février 2025Organisé en fin d’année 2024 par le Cerdd et l'association Geyser, le Labo « Dialogue territorial : s’écouter, se comprendre, cheminer ensemble » a réuni 130 personnes à Lille. Une journée d’échanges entre acteur·rices du terrain et acteur·rices ressources, qui a permis de mesurer la complexité des mécanismes de dialogue. Autant de matière qu’il ne s’agirait pas de perdre ! Pour continuer à creuser le sujet, retrouvez nos ressources issues de ce temps fort.
Sauver les arbres de la forêt de Chantilly
initiative| 4 février 2025Une décennie d’épisodes caniculaires et de sécheresse cumulatifs, des hannetons forestiers qui prolifèrent dans le milieu ouvert par les coupes claires, des plantations de régénération en échec... Le résultat est net et sans appel : 40 % des chênes de la forêt de Chantilly sont en train de dépérir. Face à cette situation catastrophique, partenariats et actions sont mis en œuvre entre le propriétaire privé, l’Office National des Forêts, gestionnaire de la forêt, et le Parc Naturel Régional Oise Pays de France.
Fiche initialement publiée en 2022.
