La question qui revient le plus lorsque l’on parle de mise en récits est « quelle différence avec le storytelling ? ». S’il s’agit d’expliquer son projet et ses actions grâce à une belle histoire, la mise en récits n’apporte rien de nouveau : le storytelling l’a conceptualisé depuis des années ! Pourtant, il existe des nuances majeures entre les deux notions. Et si le but recherché est la mise en mouvement de toutes et tous au service des transitions, c’est bien vers la mise en récits qu’il faut se tourner. 
Penchons-nous ensemble sur les définitions des termes « récit », « storytelling » et « mise en récits ». 
Le récit : au coeur du fonctionnement humain 
« Développement oral ou écrit rapportant des faits vrais ou imaginaires » : voici comment le Larousse définit un « récit ». On peut ajouter qu’un récit résulte d’une sélection et d’un ordonnancement de faits, agencés dans une suite logique, qui créent une histoire et donnent du sens à celle-ci – et aux événements qui la composent. 
Les récits sont un objet de recherche dans plusieurs disciplines de sciences sociales : l’anthropologie, en particulier, a souligné leur fonction structurante au sein de l’espèce humaine. En effet, les récits permettent de faire société : c’est en se racontant des histoires (à propos de leurs ancêtres, de pays lointains ou de leur propre vie ou quotidien) que les humains se retrouvent et se rassemblent, font sens de la réalité qui les entourent, et des aléas qui adviennent. Et en fonction de ce sens, ils s’organisent, choisissent et font société. 
« Le récit intensifie le réel. Il ne lui donne pas seulement de l’ordre et du sens, mais de la densité. Il en démultiplie les possibilités. » Tiphaine Samoyault (Sciences humaines n°378)
En particulier, les récits diffusent et partagent des modèles et des règles de comportements. Ils permettent de « faire commun ». Les récits sont donc structurants : pour le collectif comme pour l’individu.  
Or donc, pour qu’un mode de vie ou un autre modèle de société existe, il faudrait le faire exister en actes comme en mots : il faut le raconter. Derrière la notion de  « récit » se trouve donc la question du « quoi ? » : quelle histoire souhaite-t-on partager ? Se poser la question de la nature des récits des transitions revient donc à se questionner sur le fond : que raconte-t-on de ce projet de société, de ce nouveau modèle de développement ?  
Storytelling : l’art du récit
Après avoir répondu au « quoi raconter ? » vient la question du « comment le raconter ? ». Et c’est ici qu’entre en jeu la notion de storytelling. Reprenons notre Larousse. Storytelling : « Technique de communication politique, marketing ou managériale qui consiste à promouvoir une idée, un produit, une marque, etc., à travers le récit qu'on en fait, pour susciter l'attention, séduire et convaincre par l'émotion plus que par l'argumentation ».
Le but recherché n’est ni l’authenticité, ni la fidélité au réel de l’histoire, mais sa capacité à séduire, à emporter l’adhésion. Le storytelling est donc bien une question de forme, de moyen.   
S’il est indéniable que les transitions ont besoin de muscler la façon dont elles font parler d’elles pour contribuer à leur massification, la fin ne justifie pas forcément les moyens. Le storytelling est empreint de limites incompatibles avec le projet même de transitions :
- s’il n’est pas bien « ancré », un storytelling des transitions peut sembler déconnecté et peu réaliste – voire même, s’il n’est pas suivi d’actions, être soupçonné de greenwashing ;
- un storytelling est construit par une ou quelques personnes puis diffusé de manière unilatérale : il ne laisse pas de place à l’émergence d’un dialogue, au risque donc de nier le débat d’idées nécessaire à des transitions justes et démocratiques.
Les transitions se retrouvent donc dans un exercice d’équilibriste : d’un côté, faire émerger des récits suffisamment puissants, impactants et convaincants pour contribuer à un changement de société, de l’autre, éviter les travers du storytelling.
La mise en récits, un processus global
Face à ce blocage, la mise en récits incite à penser au-delà des seuls récits et du storytelling, en interrogeant également le processus d'émergence des récits. En effet, le travail de création d’un récit peut être un moment créatif, une occasion de laisser la place à d’autres voix, une ouverture de dialogue, un apprentissage à faire ensemble autrement. En deux mots : un travail démocratique et émancipateur. 
Dès lors, avec la mise en récits, les questions à se poser ne sont pas seulement « quoi raconter ? », « quelle est ma cible ? », ni « quel format sera le plus percutant ? ». Il faut prolonger la réflexion en répondant aussi à « comment faire du processus de production de ce format une expérience transformative ? ». 
S’il fallait proposer une définition de la mise en récits pour une future édition du Larousse, nous soumettrions celle-ci :
« Une posture générale, permanente et dynamique de conduite de projet dont l’objectif est la mise en mouvement en faveur des transitions. La mise en récits s’appuie sur un travail de communication guidé par un certain nombre de principes éthiques, et qui questionne le fond, la forme, et le processus de production des supports de communication. »
Dans une perspective plus métaphorique, l’image de l’iceberg convient bien à la définition de la mise en récits. Au démarrage, c’est souvent la pointe émergée qui nous attire, dans laquelle on retrouve la notion de « récit » et les perspectives de communication. Mais l’on découvre vite que sous la ligne d’eau attendent d’autres dimensions tout aussi riches de promesses et de possibilités : le travail de trajectoire, les possibilités de coopération, les enjeux d’implication, et l’appui à l’évaluation. 
Conclusion : comment mettre en récits ?
Un grand récit n’est pas seulement raconté une fois, via un support. Il est décliné dans plusieurs formats, étoffé par l’ajout d’autres événements, épaissi par d’autres points de vue… Faire de la mise en récits rejoint la même logique. En rebondissant d’un projet à un autre, en incluant toujours plus de voix, la mise en récits permet de rendre progressivement plus robuste le récit du projet.  
Vous souhaitez mettre en récits votre projet mais vous ne savez pas comment vous y prendre ? Ne soyez pas intimidés par les ambitions derrière cette approche : « faire de la mise en récits », c’est tout simplement adopter progressivement une posture de travail plus souple, plus créative, plus adaptable, et plus coopérative.
Ce qui vous a attiré dans la mise en récits était la perspective de faire un support de communication un peu décalé ? Comme un podcast, un livre de contes ou une BD ? Allez-y, faites-le ! Et profitez-en pour inviter d’autres profils aux ateliers de pilotage. Laissez-vous la possibilité de réorienter votre projet au fil des discussions. Servez-vous en comme moyen de provoquer des discussions avec vos collègues, de revenir sur des réussites ou sur des ratés, et réinterrogez collectivement vos pratiques de travail pour chercher à faire mieux la prochaine fois. 
En tirant les fils comme ils viennent, vous avancerez toujours plus loin dans un processus transformateur de mise en récits – dont les fruits n’en seront que plus riches et diversifiés.